15 mars 2025
À la banque, notre argent ne dort pas : il pollue !
Par
Aurélie Chanier et Florence Gault
Lucie Pinson, la fondatrice de Reclaim Finance, revient, dans un entretien, sur l'impact des choix bancaires sur la transition écologique et sur la nécessité de réorienter l’épargne vers des acteurs responsables pour répondre à l’urgence climatique.
©Lucie Pinson
Les grandes banques françaises génèrent une empreinte carbone huit fois supérieure à celle de la France entière, contribuant ainsi à un réchauffement climatique bien au-delà des 1,5°C visés par l'Accord de Paris. En continuant d’investir massivement dans les énergies fossiles, elles nous entraînent vers un futur à +4°C d'ici à 2100. Face à cet enjeu, il devient urgent de réorienter l’épargne vers des acteurs financiers compatibles avec une trajectoire de transition écologique. Lucie Pinson, fondatrice de Reclaim Finance, une ONG dédiée à la justice sociale et climatique, nous explique comment cette réorientation peut devenir un levier puissant pour accélérer le changement.
Quand on commence à s’intéresser à la manière dont faire évoluer nos modes de vie, l’impact de notre argent est souvent oublié, face à des choix comme la mobilité ou l’alimentation. Pourquoi ?
Le choix d’une banque est souvent dicté par héritage familial ou par facilité administrative. Peu de gens réfléchissent à l’impact écologique ou éthique de ce choix. Les banques les plus visibles captent donc l’essentiel de l’épargne, bien qu’elles soient aussi les plus impliquées dans des pratiques polluantes. Changer de banque ou réorienter son épargne est perçu comme compliqué, alors qu’en fait, cela peut avoir un impact bien plus grand que modifier ses habitudes de consommation. De plus, on oublie souvent les leviers collectifs : collectivités, entreprises ou associations peuvent également influer en réorientant leurs partenariats financiers. Un exemple marquant est celui des dispositifs d’épargne salariale. Chez Orange, un mouvement de salariés s’est mobilisé pour reprendre le contrôle de leur épargne, actuellement gérée par Amundi, un acteur parmi les premiers actionnaires de Total Energies. Cet exemple illustre combien la mobilisation collective autour des fonds communs peut transformer les pratiques financières et environnementales à grande échelle.
En quoi les pratiques des banques contribuent-elles à la crise écologique ?
Pour se développer, une entreprise a besoin de financements, d’investissements et de couvertures d’assurance. Les assureurs, indispensables pour débloquer des prêts, sont souvent les premiers sollicités. Ensuite, les banques lèvent les capitaux nécessaires aux projets. Cette mécanique montre l’urgence de réorienter les services financiers vers des solutions compatibles avec un monde à +1,5°C et de cesser de financer les énergies fossiles. Par exemple, en 2024, Total a émis une obligation de 4,2 milliards de dollars. BNP, Crédit Agricole et Société Générale s’en sont abstenues, mais BPCE a participé. Pourtant, cet argent contribue directement au dérèglement climatique. Bien que Total mette en avant ses investissements dans les énergies renouvelables, la majorité de ses fonds est toujours dirigée vers de nouveaux projets fossiles. Ces actions montrent que certaines banques prennent conscience des risques climatiques liés à des financements non fléchés. Pourtant, soutenir de tels projets revient à alimenter une trajectoire incompatible avec la transition écologique.
Comment les grandes banques réagissent-elles face à ces critiques : déni, dialogue possible ou résignation ?
Reclaim Finance est une ONG de recherche et de campagne. Notre mission est de parler librement des activités des banques, de mettre la pression sur les acteurs financiers, et de révéler l’écart entre leurs discours et leurs pratiques. L’objectif est de les pousser à se désinvestir des énergies fossiles et à soutenir des alternatives compatibles avec la transition écologique. Pour cela, nous devons argumenter, chiffrer et nous appuyer sur une analyse solide. La moitié de notre équipe travaille à poser un diagnostic précis de la situation et à conseiller les acteurs financiers sur les mesures à adopter pour rediriger leurs flux financiers. Cette dynamique repose sur deux piliers : la recherche et la campagne. Ensemble, ils permettent d’engager un dialogue avec les acteurs financiers, de rappeler la réalité scientifique tout en comprenant leurs pratiques, afin de trouver des compromis efficaces.
Et ça marche ?
Malheureusement, l’information ne fait pas l’action ! Depuis 1973, des rapports, comme celui de Munich Re, ont alerté sur les risques climatiques. Pourtant, on continue d’investir dans des secteurs destructeurs. Les blocages viennent souvent des salariés eux-mêmes : ceux qui travaillent dans le secteur pétrolier et gazier perçoivent l’arrêt de ces activités comme une menace pour leur emploi. Ce choc peut entraîner du désengagement. La direction doit également convaincre les actionnaires, car les énergies fossiles restent rentables. Reclaim Finance doit donc comprendre toutes les sources éventuelles de blocage et les sources de motivation pour jouer avec afin de mettre le plus de pression possible et aboutir à une décision à la hauteur des enjeux.
Une fois qu’on a compris l’impact de notre argent, que peut-on faire concrètement ?
Un bon point de départ est le site change-de-banque.org, qui informe sur les établissements bancaires en France. Vous y trouverez des conseils pour changer de banque, même si vous avez un prêt immobilier en cours. Il est possible de transférer son épargne vers des acteurs plus responsables ou de faire pression sur sa banque actuelle pour la faire évoluer.
Quels conseils donneriez-vous pour le compte courant et l’épargne ?
Pour le compte courant, je recommande le Crédit Coopératif. Les néobanques peuvent être intéressantes, mais leur capacité de financement reste limitée. Pour l’épargne, je conseille la NEF, qui propose des solutions solides. Et pour les assurances, la MAIF est un acteur engagé qui se démarque. Enfin, n’oubliez pas que vous pouvez aussi mobiliser votre entreprise ou votre collectivité pour maximiser votre impact.