20 mars 2025
Les stations de ski face au défi du dérèglement climatique
Par
Florence Gault
Avec la hausse des températures, l’avenir des stations de ski est incertain. Enneigement insuffisant, rentabilité en baisse, infrastructures coûteuses… Certaines stations tentent de s’adapter en diversifiant leurs activités, tandis que d’autres ferment leurs portes. Tour d’horizon des défis et des solutions pour l’économie de la montagne.
©SMMO
Les stations de ski font face à un défi majeur : le réchauffement climatique. En Europe, la plupart des domaines skiables sont directement menacés par la diminution de l'enneigement. En France, le réchauffement est encore plus marqué en montagne qu’ailleurs : au cours du XXème siècle, les Alpes et les Pyrénées ont gagné 2°C, contre 1,4°C en moyenne dans le reste du pays.
Aujourd’hui, 40 % des pistes dépendent des canons à neige, une solution coûteuse en eau, en énergie et surtout incertaine, car elle repose sur des températures suffisamment basses, de plus en plus rares. Dans ces conditions, les stations de moyenne altitude sont à un tournant : s’adapter ou disparaître.
Une économie sous pression
Le modèle économique des stations de ski repose sur une infrastructure lourde et des investissements conséquents. Depuis les années 1960, la France a développé un grand nombre de stations dans le cadre des plans Neige, visant à développer massivement les stations pour attirer les touristes et dynamiser des vallées isolées. En 15 ans, leur nombre a explosé, d’une cinquantaine à près de 200. Contrairement à la Suisse ou l’Autriche, où les infrastructures ont été construites autour des hôtels et chalets, la France a misé sur les remontées mécaniques et la vente de forfaits.
Les années 1990-2000 marquent l’âge d’or du ski, avec des stations qui tournent à plein régime. Mais depuis une quinzaine d’années, la tendance s’inverse : les Français skient moins, et moins longtemps, et l’enneigement devient plus aléatoire. Dans les Alpes, 50 % des appartements des stations restent inoccupés plus de 48 semaines par an. Un véritable casse-tête pour les élus locaux. Résultat : les stations peinent à rentabiliser leurs infrastructures. « Aujourd'hui, quand on investit dans un télésiège débrayable huit places, avec des canons à neige autour, il faut rentabiliser ces infrastructures », analyse Valérie Paumier, la fondatrice de l’association Résilience Montagne. « Donc, on augmente le prix des forfaits. Et lorsqu’on se paie un forfait à 70 euros la journée, on veut le logement qui va avec, puisqu’on a les moyens. Mais pour cette montée en game, on va chercher une clientèle lointaine. »
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En 2024, un rapport de la Cour des comptes a souligné l’essoufflement du modèle actuel, estimant que seules quelques stations pourront maintenir leur exploitation au-delà de 2050. Ce sont les stations de haute montagne qui ne représentent qu’une trentaine sur les 200 existantes. Ce rapport a fait bondir Domaines Skiables de France, le syndicat des remontées mécaniques, qui a dénoncé des erreurs et des approximations. Mais pour Valérie Paumier, désormais, « ce n’est plus de la transition qu’il faut faire, mais de l’adaptation. Et sans anticipation, ce sera la catastrophe. Pour les habitants mais aussi pour l’écosystème de la nature. »
Un tournant inévitable
Certaines stations de ski ont déjà fermé leurs remontées mécaniques. C’est le cas de la Sambuy, au bout du lac d’Annecy dans les Bauges. Il s’agit d’un stade de neige, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’hébergement sur place. La fermeture a été actée en juin 2023 par le conseil municipal de Faverges-Seythenex, dont dépend la Sambuy. Une décision plus économique qu’écologique. Le déficit d'exploitation atteignait près de 500 000 euros par an.

La station de la Sambuy ©En un battement d'aile
Une situation devenue intenable pour Jacques Dalex, le maire de Faverge-Seythenex : « Cette station de 60 ans était en déficit depuis toujours, neige ou pas neige. Et là, il y avait le changement à venir d’une dameuse, à 600 000 euros. À cela s’ajoutait la grande inspection des remontées mécaniques qui devait avoir lieu, entre 350 et 400 000 euros. En plus du déficit initial. Il fallait trancher. » Le télésiège de la Sambuy sera donc démonté trois mois plus tard. Si cette fermeture a été saluée dans le rapport de la Cour des Comptes en 2024, elle ne s’est pas faite sans opposition : l’association Tous ensemble pour La Sambuy a été créée à cette occasion, en dénonçant un manque de concertation.
Pour Valérie Paumier, la Sambuy aurait pu devenir un laboratoire d’expérimentation : « On aurait pu essayer de recycler les infrastructures sur un modèle estival, certes sur du court terme, mais cela aurait pu devenir un laboratoire de transition. » Contrairement à beaucoup d’autres stations, la Sambuy réalisait l’essentiel de son chiffre d’affaires en été, et fonctionnait sans neige artificielle. Un modèle atypique, mais qui n’a pas suffi à la sauver. La mairie assure qu’aucune proposition viable n’a été formulée.
Métabief, station pionnière de l’après-ski
Face à ces défis, certaines stations prennent les devants en amorçant une transition vers un tourisme moins dépendant du ski. Métabief est l’un des exemples les plus avancés en France.
La prise de conscience remonte à 2015, lorsqu’un investissement de 24 millions d'euros du conseil départemental est annoncé, dont 15 millions destinés au renouvellement de deux remontées mécaniques. « La question qui s’est posée, c’est : est-ce que nous avons 20 ans de ski garanti devant nous pour amortir nos investissements ? », explique Olivier Erard, à l’époque directeur du Syndicat Mixte du Mont d’Or (SMMO), chargé de la gestion du domaine skiable de Métabief, qui avait déjà mené le dossier de la neige de culture dans la station. Les projections climatiques annoncent des hivers de plus en plus aléatoires et ce constat pousse l'équipe à faire face à une réalité difficile. « Investir dans les remontées mécaniques devenait un non-sens », affirme Philippe Alpy, président du SMMO.

La station de ski de Métabief ©SMMO
En 2020, la station acte la fin programmée du ski alpin à l’horizon 2030-2035. « Nous sommes en train de renoncer à un programme d'investissement sur lequel on a déjà communiqué, qui a donné de l'impulsion à des socio-pros, peut-être de l’espoir", analyse Olivier Erard. « Et là, on marque un coup d'arrêt, ce qu'on appelle en fait un renoncement. Maintenant, je le sais, c'est un renoncement. » Le glaciologue relate d’ailleurs son expérience à Métabief dans Le passeur, publié aux Éditions Inverse. Une décision qui a provoqué un séisme au sein de la station de ski.
Le SMMO a alors décidé de miser sur la maintenance des équipements existants et d’engager sa transition vers un modèle quatre saisons. Une dizaine d’années pour se réinventer. Car « rien ne viendra remplacer le ski », martèle Olivier Erard. Il faut donc à la fois repenser le modèle économique de la station, et imaginer l’attractivité du territoire autrement.