3 mars 2025
La fromagerie Altermonts, une coopérative paysanne pour une agriculture bio résiliente
Par
Florence Gault
Face à la crise de l'agriculture biologique, certaines initiatives locales offrent des pistes de résilience. La fromagerie paysanne Altermonts, fondée par quatre fermes des Monts du Lyonnais, est l’une d’elles. Conçue pour transformer et distribuer en circuit court les produits bio de fermes laitières locales, elle réinvente les modèles de production en intégrant solidarité et autonomie. Reportage sur cette coopérative qui incarne un renouveau du collectif agricole.
L'équipe d'Altermonts @Jarlot Productions
En ce vendredi de mars, sous un beau soleil, Adrien Mazet fait rentrer les vaches du pâturage. Pour la première fois, ce soir, elles vont dormir dehors. Mais avant cela, c’est l’heure de la traite. Un moment privilégié avec ses bêtes que le jeune fermier de 37 ans affectionne. La ferme du Val Fleury se trouve dans les monts du Lyonnais, à quelques kilomètres de Chazelles-sur-Lyon. Petit-fils et neveu de paysan, Adrien a suivi un parcours assez général en faisant des études d’ingénieur. Quand il rencontre le Val Fleury, la ferme de ses beaux-parents, l’agriculture biologique devient une évidence : « ça m’a permis de faire matcher mon envie d’être paysan à mes valeurs humaines », explique-t-il.
Pourtant, la réalité du monde agricole est difficile. Preuve du malaise, les nombreux panneaux d’entrée des communes mis à l’envers dans les Monts du Lyonnais. Une initiative lancée, en octobre 2023, le syndicat des Jeunes Agriculteurs pour dire "On marche sur la tête". Pour Adrien Mazet, « le malaise est réel et il faut l’entendre. Mais il faut également voir la réalité en face. Il y a de moins en moins de paysans ». Un agriculteur sur deux partira à la retraite d’ici 2030. Ce qui pose la question du renouvellement des générations. « Ce n’est pas en agrandissant les fermes existantes qu’on va résoudre le problème. On a assez de boulot comme ça », s'agace le fermier. « Ces fermes, il va donc falloir les transmettre. Et repenser notre modèle. »
À la ferme du Val Fleury, 240 000 litres de lait en moyenne sont produits par an. La moitié est transformé en yaourts et en crèmes desserts, qui sont vendus en AMAP, en magasins et surtout dans les cantines via des plateformes de producteurs, dont Bio A Pro, la coopérative locale de producteurs et productrices bio du Rhône et de la Loire qui livre les professionnels de la restauration. L’autre moitié du lait est transformée à la fromagerie biologique et paysanne AlterMonts. Une fromagerie collective qu’il a créée avec trois autres fermes.

La fromagerie Altermonts à Saint-Denis-sur-Coise (Loire) ©Jarlot Productions
Relocaliser pour redonner du sens
Dans les Monts du Lyonnais, il existe de nombreuses fermes laitières. Mais toutes les fromageries collectives, elles, ont disparu. En grande majorité, le lait produit sur le territoire part loin, pour être transformé. Très loin du sens même de l’agriculture biologique. Alors pourquoi ne pas faire le pari de recréer une fromagerie locale ? C’est ainsi qu’en 2015, Gilbert Besson, fermier laitier à Saint-Galmier, a imaginé un outil de transformation partagé. Deux fermes rejoignent très vite le projet. Celle d’Adrien et le Groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) de la Brumagne, porté par Claude Villemagne et Didier Bruyère, à Chazelles-sur-Lyon. Tous les trois avaient déjà discuté de l’idée de transformer ensemble leurs produits. Claude voit dans ce projet l’aboutissement de son travail de paysan : « on fait naître des petits veaux, on les élève, ils produisent du lait. Et ce lait-là, on le transforme pour aller le vendre. » Et le vendre à proximité. Même si depuis, Altermonts a étendu sa zone de vente.
Mais, pour former un collectif, il manque une quatrième ferme. Les paysans interpellent alors Jérôme Barange de la Ferme des Deux Hélices, à Duerne. Avec 9 paysans, le groupe est formé. Il se fait accompagner par l’AFOCG Rhône-Loire [NDLR : un organisme de formation pour les agriculteurs et agricultrices en comptabilité et en gestion de leur ferme] pour construire à la fois le projet mais aussi le collectif. Des voyages d’études sont réalisés dans différentes coopératives fromagères et des tests de fabrications réalisés. En 2019, un financement participatif permet l’achat d’un camion de collecte de lait, grâce à 300 donateurs. C’est ainsi qu’Altermonts voit le jour le 18 juin 2020 avec pour slogan : "un autre fromage est possible".
Un autre fromage est possible
C’est Samuel, fromager de 27 ans, qui est à la manoeuvre pour la fabrication des fromages. Des fromages à pâte pressée cuite, qu'il a fallu tester, goûter, améliorer pour trouver les bonnes recettes. Leur produit phare : la fleur des Monts, affinée entre 10 et 12 mois, fabriquée uniquement à partir de lait d’été, de pâture ou de lait au foin. Le lait est aussi transformé en tommes et raclette.

Samuel, fromager d'Altermonts ©Jarlot Productions
Créé en 2020, Altermonts a atteint l’équilibre à la fin de l’exercice 2022. Mais le projet demande beaucoup d’investissement et d’engagement. Et les 4 fermes ne dégagent pas pour l’instant de bénéfices. Claude du GAEC de la Brumagne reconnait que lui et son associé, âgé respectivement de 54 et 57 ans, n’avaient pas mesuré le temps et l’énergie que demanderait la fromagerie : « honnêtement, si j’avais su tout ça avant, je crois qu’on ne l’aurait pas fait. Mais attention ! En aucun cas, je ne regrette ce qui a été fait ! Mais il faut reconnaître que le reste de l’équipe est plus jeune. Il y a eu une charge de travail considérable, même encore aujourd’hui. » Cela dit, c’est Claude qui assure le marché tous les vendredis après-midi, tant il aime le contact avec les gens.
La force du collectif
Le maître-mot chez Altermonts, c’est la coopération. Comme Adrien Mazet aime à le rappeler, « seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin ». Pour le paysan du Val Fleury, le collectif permet aussi de prendre les bonnes décisions : « quand on est seul, on peut avoir des coups de mou ou au contraire, des coups d’euphorie. Mais, avec le collectif, on peut toujours compter sur quelqu’un. » Et selon Adrien, travailler à plusieurs pourrait permettre de répondre aussi à la crise des vocations. « On aime jamais autant ses vaches, que quand on peut les laisser un moment », analyse-t-il. « C’est comme nos gamins, on les aime jamais autant que quand on peut les laisser chez Papy Mamie ! » Au Val Fleury, Adrien est associé à son frère Gautier et à Matthieu Gloria. Les trois paysans ne travaillent qu’un week-end sur trois. Un vrai luxe pour des agriculteurs, qui leur permet de profiter d’une vie de famille. Adrien va même plus loin : « le système de production laitière en solo n’est plus adapté au monde dans lequel on vit car il est trop astreignant ». Et de conclure : « le collectif est vital ».
Un grand nombre d’agriculteurs se retrouvent seuls aujourd'hui face aux évolutions du monde. Et pourtant, il y a sans doute des solutions à aller chercher dans le collectif, ou dans des collectifs au pluriel. Des collectifs joyeux, qui permettent d’expérimenter et de redonner du sens.

Une joyeuse équipe ©Jarlot Productions
Altermonts
251 rue de l’Energie
ZAC Croix Chartier
42140 Saint-Denis-sur-Coise
Marché les vendredis après-midis de 16h à 19h