1 mars 2025

En Isère, un agriculteur bio mise sur le chanvre pour diversifier son exploitation

Par

Gildas Barbot et Florence Gault

Agriculture

6 mins

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Depuis plus d’un an, les agriculteurs font entendre leur malaise. Normes environnementales jugées trop contraignantes, flambée des coûts de production et chute des prix : les revendications sont nombreuses et traduisent un malaise profond dans le monde agricole. Stéphane Jay, gérant du GAEC Maison Colombier, à la Villette de Vienne en Isère, produit des poires et des céréales biologiques. Pour faire face à la crise du bio et aux défis climatiques, il s’est lancé, avec l’association Aura Chanvre, dans la culture du chanvre. Une filière encore balbutiante, pour aider à développer une filière textile naissante en Auvergne Rhône Alpes. Entre innovations risquées et manque de soutien, Stéphane Jay témoigne des difficultés du monde agricole.

Stéphane Jay (au milieu) ©En un battement d'aile

Votre production principale, c’est la poire. Vous faites aussi des céréales en bio sur 160 hectares. Et depuis deux ans, vous testez la culture du chanvre. Pourquoi ? 

Stéphane Jay : On est aujourd'hui dans un système très limité en termes de production, avec des acheteurs qui se limitent à des cultures très connues comme le maïs ou le blé. Et nous, en bio, il nous faut des rotations longues. Donc il faut qu'on essaie de tourner sur cinq ou six cultures de suite pour éviter l'implantation des adventices  [NDLR : Des plantes qui poussent spontanément dans les champs et qui peuvent impacter les rendements à la baisse] qui nous posent problème pour la culture. Ensuite, il n’y a pas suffisamment de débouchés. On est dans une crise importante de l’agriculture bio, avec des prix qui chutent et des acheteurs qui se limitent au strict minimum. Donc c'est plutôt une chance d'avoir des gens qui nous aident à essayer une autre culture. Mais forcément, quand vous essayez, vous faites des erreurs ; c'est des soucis et des contraintes supplémentaires.

Vous avez l'impression de faire un pari un peu fou en innovant ainsi ?

SJ : Autour de moi, j'avais des vieux agriculteurs qui me disaient : « Laisse les autres faire les tests et quand ça marchera, [tu suivras]. » Et c'est vrai que le monde agricole fonctionne beaucoup comme ça. Quand vous faites une culture, vous ne savez pas si vous allez arriver à la récolter, vous ne savez pas si vous allez réussir à la vendre. Alors, le chanvre, oui, c'est forcément un projet un peu fou. Quand vous faites du chanvre, il y a la question des fibres. Imaginons que vous n’arrivez pas à récolter le champ ou même à le faucher, vous ne pouvez pas mettre un coup de broyeur. Car le broyeur va caler au bout de trois mètres. Donc ce n'est pas une culture anodine.

Est-ce qu’au vu du dérèglement climatique, il est nécessaire pour les agriculteurs de repenser leur métier ?

SJ : Moi je pense que oui, parce que toute entreprise se doit de chercher de nouveaux débouchés. Le problème en agriculture, c'est qu'on n’a pas forcément les compétences, l’envie, les moyens techniques ou financiers. C'est d'ailleurs pour ça que peu d’agriculteurs innovent, parce qu'il faut oser. Et pour ça, les formations agricoles doivent changer parce qu'il faut initier les nouvelles générations à aller vers de nouvelles approches. Dans notre modèle agricole et dans les formations telles qu'elles sont mises en place, ce n’est pas trop l'état d'esprit. Concernant l’envie de faire du chanvre, les exploitations ne se bousculaient pas au portillon ! 

Comment inciter la filière à se repenser ?

SJ : C'est toujours pareil. Si vous démontrez que la filière est rentable, tout le monde y va. Malheureusement, c'est ça le nerf de la guerre. Donc vous ne ferez pas changer les gens sur des convictions ou des idéaux. Il faut montrer qu’on est dans une filière qui peut être rentable. L’Etat a financé une filière agricole biologique à grand coup de subventions publiques. Mais derrière, on n'a pas monté les filières correspondantes. Aujourd'hui, les industriels nous disent qu’il y a trop de bio. C'est pour cette raison que les prix sont bas. La filière bio est en surproduction. Or, quand on a commencé le bio, ils nous disaient l'inverse, que pour donner envie aux industriels d'y aller, il fallait produire suffisamment. En plus, aujourd'hui, le bio est quasiment au prix du conventionnel : le beurre bio est même parfois moins cher. Mais dans l’esprit des gens, c'est ancré. Dans toutes nos exploitations bio, on se demande ce qu'on va faire maintenant. Dans notre cas, nous ne nous sommes pas convertis au bio pour les aides mais parce qu'on y croyait, on va donc rester en bio. Mais il y a un certain nombre de gens qui vont revenir en conventionnel.

Pourtant, les conséquences du dérèglement climatique sont bien là. Le monde agricole doit s’adapter…

SJ : Je ne comprends pas l’agriculteur qui se dit climatosceptique ! On voit bien que les rendements ont chuté, qu’il est plus compliqué de produire. On voit bien qu'à 47 degrés, la forêt amazonienne ne photosynthétise plus. On l'a vu l'année dernière sur nos poiriers. L'arbre était en souffrance, il n'y avait pas de photosynthèse. S’il n’y a plus de photosynthèse, ça va être compliqué de continuer à vivre sur cette planète. Il va donc falloir globaliser les enjeux. Mais c’est vrai, si on se limite au critère de la production, le modèle bio a du mal à la sécuriser. Il faudrait pour cela des vrais investissements, des filières, mais pour l’instant, on ne les a pas… 

Et le risque ne repose que sur les épaules de l’agriculteur ?

SJ : Oui. Prenons l'exemple du blé qui parle le plus aux gens. On a été avertis de la chute des cours au mois d’avril. Mais, le blé se sème en octobre de l'année précédente. Donc quand on sème, on espère que la culture va pousser comme il faut. Vous lui mettez de l'engrais -du fumier- en février à peu près, pour que ce soit un beau blé qui corresponde aux normes industrielles. C'est-à-dire qu'il lui faut qu’il ait des protéines, un poids spécifique du grain. Sinon vous êtes déclassés en fourrager [NDLR : du blé principalement utilisé pour l'alimentation du bétail]. Et puis au mois d’avril, vous commencez à réfléchir à la moisson qui aura lieu en juillet. Et c’est là qu’on vous dit que ce n'est plus 420/440€ la tonne, mais 300. Voilà, la réalité, c'est celle-ci. Et qui porte le risque pour ça? C'est nous, les agriculteurs.

C’est un vrai changement de paradigme qu’il faut opérer. Mais, on voit à quel point ce n’est pas simple pour l’agriculture conventionnelle. 

SJ : Il y a des grandes chapelles qui se confrontent. Agriculteurs bio et conventionnels font le même métier ; il faut qu'ils  arrivent à trouver quelque chose de cohérent, où ils arrêtent de porter la majeure partie du risque. Et ça, ce n'est pas fait. On le déplore et c'est pour ça qu'on essaie d'aller trouver des projets un peu alternatifs. Mais du coup, on est sur des niches pour essayer de compenser quelque chose qui devrait être réfléchi de façon globale, en tenant compte d’enjeux bien plus importants. Nous, typiquement, on fait de la poire qu’on transforme en eau de vie principalement. C'est vrai que c'était un plaisir aussi de nous diversifier dans les céréales parce qu'on y tient, cela a du sens de produire pour le pain, pour l'alimentation animale, pour l'alimentation humaine. Cela apporte un autre sens. Mais aujourd’hui, on n’a pas les moyens pour donner du sens. Et on n'est pas accompagnés dans ce sens là. 

[NDLR : Quelques semaines après cette interview, Stéphane Jay a pris la décision d'arrêter les céréales par manque de débouchés. Le prix des céréales ne lui permettait pas de couvrir les charges sans même penser à des prix rémunérateurs. Il va désormais semer les parcelles en herbe pour essayer de garantir l'autonomie alimentaire des éleveurs autour. Un choix qu'il vit comme un échec.]

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