4 avr. 2025
Un arbre-cabane pour enregistrer la voix du vivant
Par
Audrey Ranchin et Florence Gault
Face à l’effondrement de la biodiversité et à l’accélération du changement climatique, comment retisser nos liens avec la nature ? Inspirées par le concept d’écobiographie et le livre « Je est un nous » du philosophe Jean-Philippe Pierron, Audrey Ranchin et Florence Gault proposent une expérience intime et immersive avec « Au creux de mon arbre, l’écho du vivant ». Dans une cabane en forme d’arbre, chacun est invité à confier un souvenir marquant en lien avec le vivant. Ces témoignages anonymes donnent naissance à un podcast, tissant un récit collectif sur notre relation à la nature.
©Florence Croizier
Un arbre-cabane, un micro, et des souvenirs à déposer. Dans une époque marquée par la crise écologique et une perte de liens avec le vivant, ce projet d’arbre-cabane, studio d’enregistrement fait écho aux travaux du philosophe Jean-Philippe Pierron. Intitulé “Au creux de mon arbre, l’écho du vivant”, il propose une expérience intime et anonyme : raconter un souvenir marquant en lien avec la nature.
L’idée repose sur le concept d’écobiographie, qui invite à déchiffrer nos attachements à la nature pour mieux comprendre comment ces relations nous ont constitués. « Puis-je identifier un lieu, un être, un vivant avec lequel s’est instaurée une rencontre qui m’habite encore aujourd’hui ? », questionne ainsi Jean-Philippe Pierron dans son livre Je est un Nous (Actes Sud, 2021).
Jean-Philippe Pierron, avec Audrey Ranchin (à gauche) et Florence Gault (à droite) ©En un battement d'aile
L’écobiographie naît du constat qu’en dépit de nos contacts avec la nature, nous peinons à ressentir et partager les émotions qui naissent de ces expériences. Nous entretenons avec le monde qui nous entoure des relations utilitaires, voire anesthésiées. Ainsi, le climat se réchauffe, la biodiversité s'effondre, mais nous avons des difficultés à prendre la mesure des crises écologiques dont nous -les humains- sommes à l'origine. Notre “amnésie environnementale” fait qu’au fil des générations, nous nous adaptons à la dégradation de notre environnement et nous perdons notre relation au vivant.
L’arbre-cabane est donc conçu comme une invitation à l'introspection et un outil de sensibilisation pour alimenter les prises de conscience autour des enjeux écologiques actuels et lutter contre cette amnésie environnementale. Car comme l’explique le philosophe Baptiste Morizot, l’érosion de la biodiversité n’est pas seulement une crise environnementale : elle est aussi une “crise de la sensibilité”, un appauvrissement de notre capacité à percevoir, comprendre et ressentir le vivant.
C’est ainsi que les récits singuliers, confiés au creux de l’arbre, renvoient à l’universel et participent à la réécriture d’un récit collectif - l’écho du vivant.
Un jour, j'ai décidé de partir faire un bivouac tout seul, en montagne, juste pour être avec moi-même, tranquille, au calme. Je suis parti dans un endroit que je connaissais déjà, dans le massif de Belledonne. Après trois heures de marche, je suis arrivé là où je voulais. Il y avait plusieurs lacs. J'ai monté ma tente. Il devait être 19 ou 20h, et j'ai escaladé une petite colline. Là je me suis retrouvé face à un troupeau de bouquetins, ils devaient être quinze ou vingt. J'étais subjugué, je ne m'attendais pas à en voir autant et surtout si près. Je me suis posé tranquillement et je les ai observés pendant un moment. Cela a été un moment assez incroyable…
Un dispositif itinérant et immersif
Présent lors de festivals, de formations ou d’événements culturels, l’arbre-cabane ne se limite pas à l’enregistrement de souvenirs. Il devient un outil de médiation. Un temps d’atelier, en amont de l’enregistrement, a pour objectif d’aider les participants à explorer leur propre écobiographie. Photolangage, lectures de textes, écoutes d’autres témoignages ou création d’une fresque collective illustrant nos liens au vivant, accompagnent l’expérience.
©En un battement d'aile
L’arbre-cabane a participé à la programmation culturelle de la venue de la goélette Tara à Lyon, en décembre 2023, ou à l’inauguration de l’exposition L’Appel de la Forêt à la bibliothèque municipale de Lyon, qui s’est tenue du 8 octobre 2024 au 1er février 2025. Pour cette exposition, les témoignages ont été intégrés à la scénographie.
Un podcast pour faire résonner le vivant
Les souvenirs collectés sont ensuite mis en récit lors d’épisodes hors-séries du podcast En un Battement d’Aile. Ils abordent des thématiques profondes telles que l’amnésie environnementale, la disparition progressive de l’expérience de nature, le lien à l’animal, notre relation ancestrale aux forêts ou encore les bienfaits du contact avec la nature sur notre santé.
Le travail du son, centré sur les voix et les ambiances, offre une nouvelle expérience immersive, presque méditative. Ces témoignages permettent de raviver notre conscience d’appartenir au vivant et de nous percevoir, selon les mots du philosophe Baptiste Morizot, comme des vivants parmi les vivants.
Se reconnecter au vivant, renouveler les expériences de nature, mais aussi raconter. Comme l’écrit la journaliste Anne-Sophie Novel dans L’enquête sauvage (La Salamandre en partenariat avec le mouvement des Colibris, 2022), « notre espèce fabulatrice a besoin d’ "encrer" pour s’ancrer, de raconter pour intégrer et transmettre, d’écrire pour se relier ».
Dans un monde où le lien au vivant se fragilise, l’arbre-cabane offre un espace de résonance et de transmission. Parce que raconter, c’est déjà un premier pas vers la réinvention de notre place parmi les vivants.
