16 mars 2025
Au chevet de la biodiversité avec l’association Arthropologia
Par
Aurélie Chanier et Florence Gault
La biodiversité connaît un déclin sans précédent, marquant le début d'une sixième extinction de masse. Selon l'IPBES, un million d'espèces sont menacées d'extinction, tandis que les engagements actuels nous placent sur une trajectoire de réchauffement de 2,2 à 3,5 °C d'ici la fin du siècle. Face à cette double crise, les scientifiques appellent à repenser notre rapport au vivant et à dépasser une approche purement marchande de la nature. Dans ce contexte, l'association Arthropologia œuvre depuis 2001 pour la protection des insectes et de la biodiversité, en menant des actions concrètes en faveur du vivant.
©En un battement d'aile
Le constat est alarmant : la biodiversité est en déclin global sans précédent. Selon les derniers rapports de l'IPBES, sur les quelque huit millions d'espèces animales et végétales estimées sur Terre, un million sont désormais menacées d’extinction. Alors que les politiques et engagements actuels en matière d'émissions placent le monde sur une trajectoire de réchauffement d'environ 2,2 à 3,5 °C à la fin du siècle, les scientifiques expliquent que limiter le réchauffement à 1,5 °C permettrait de réduire considérablement les pertes et dommages. L’IPBES appelle les dirigeants à cesser de ne prendre en compte que la valeur marchande de la nature. On parle aujourd'hui de sixième extinction de masse.
L'association Arthropologia au chevet de la biodiversité
Hugues Mouret est entomologiste et le fondateur de l'association Arthropologia, une association naturaliste pour la connaissance et la protection des insectes et de la biodiversité. Dans son écocentre de La Tour-de-Salvagny, près de Lyon, un véritable sanctuaire de deux hectares où la nature est préservée, Arthropologia sensibilise le grand public à l'importance des insectes, en organisant des activités pédagogiques. Mais l’association ne se limite pas à la vulgarisation : elle se distingue également par son expertise scientifique. Aux côtés de Caroline, directrice de l’organisation, et d’une équipe de 25 salariés, Hugues Mouret engage un travail de lobbying au niveau national, forme des professionnels et défend la place des insectes dans les politiques environnementales.
Malgré leur rôle essentiel, les insectes souffrent d’une image souvent négative. Peu appréciés, voire détestés, ils sont pourtant indispensables à l'équilibre écologique. Pour Hugues Mouret, ce rejet est une « hérésie ». Il rappelle que les insectes « assurent la quasi-totalité de la nourriture des mammifères et des oiseaux, ils assurent la pollinisation de 9 plantes sur 10, ils recyclent la matière organique, ils protègent les cultures ». Sans eux, « la vie des humains, la vie des vertébrés n'est juste pas possible ».
Alors que nous les ignorons ou les repoussons, ces insectes jouent pourtant un rôle primordial. « Elles sont beaucoup plus nombreuses, en masse, en nombre et en diversité que tous les autres groupes qui existent et donc elles fournissent des fonctionnalités, ou des services écosystémiques si on les regarde d'un point de vue anthropocentré, extrêmement majeurs », insiste-t-il.
Le nom d’Arthropologia est un néologisme, un arthropode. Ce sont les animaux à carapace qui sont recouverts d’une carapace avec des pattes articulées.
L’effondrement de la biodiversité, une extinction sous-estimée
Les insectes disparaissent à une vitesse alarmante. « Ce n'est pas une impression, c'est ce qui est terrible », déplore Hugues Mouret, qui observe une chute drastique de leur diversité. Une étude parue en 2017 dans PLOS ONE révèle que la biomasse des insectes volants a diminué de près de 80 % en 30 ans dans certaines prairies européennes. Mais l’entomologiste met en garde : « la biomasse, c’est un indicateur qui n’est pas assez pertinent pour pouvoir lire la problématique ».
En effet, mesurer uniquement la masse totale des insectes ne permet pas d’appréhender l’ampleur du bouleversement écologique. Certaines espèces disparaissent tandis que d’autres, favorisées par nos activités et nos déchets, prolifèrent. « On sait que les insectes s'effondrent, sauf un certain nombre de groupes qui sont liés à nos activités et à nos déchets », précise-t-il, citant les mouches, les cafards ou certains syrphes. Il illustre ce déséquilibre : la disparition des vertébrés favoriserait les insectes nécrophages, et l’abattage des arbres augmenterait la biomasse des mangeurs de bois morts. Ce n’est donc pas seulement une question de quantité, mais une transformation des écosystèmes.
Une étude plus récente, publiée en 2019 dans Nature, confirme l’ampleur du désastre : en seulement 10 ans, la biomasse des insectes a chuté de 67 % sur 290 sites en Allemagne, avec la disparition de plus d’un tiers des espèces. « Il n’y a jamais eu ça sur Terre », alerte-t-il, évoquant un effondrement « 1000 fois plus rapide que la normale. 150 ans et pas 150 000 ans ». Cette extinction est d’autant plus inquiétante que sa rapidité dépasse toutes les crises passées. Pourtant, alors que l’urgence climatique est au cœur des débats, la disparition des insectes reste largement sous-estimée.
Entre déconnexion et amnésie environnementale
Mais un autre phénomène aggrave encore la situation : la déconnexion croissante entre l’humain et la nature. « Aujourd'hui, la plupart des gens ne reconnaissent pas trois oiseaux, trois plantes et trois insectes », déplore Hugues Mouret. Que l’on soit en ville ou à la campagne, cette méconnaissance est généralisée, renforcée par un discours politique et médiatique axé sur des « solutions vertes » technologiques, qui occultent la complexité du vivant.
Car la biodiversité ne se modélise pas aussi aisément que le climat. Avec des millions d’espèces en interaction constante, l’expliquer simplement est un défi. « C’est hyper compliqué d’expliquer ça de façon claire et rapide aux gens », reconnaît l’entomologiste, qui constate une grande ignorance sur le nombre d’espèces existantes. Lors de ses conférences, il interroge son public sur la diversité des mammifères, amphibiens ou papillons en France – les réponses sont souvent très éloignées de la réalité. « Il y a 5700 papillons en France métropolitaine, dont 95 % sont des papillons de nuit », rappelle-t-il, preuve du fossé entre perception et réalité.
Cette perte progressive de savoir nourrit ce que les scientifiques appellent l’amnésie environnementale : à mesure que les espèces disparaissent, notre référentiel évolue sans que nous en ayons conscience. « Chaque année, après chaque hiver, on dégrade un petit peu notre référentiel parce que le cerveau retient 5 à 10 % de ce qu'on a vu », explique Hugues Mouret.
Face à ce constat, il insiste sur l’importance de reconnecter les enfants à la nature. « Il est primordial, essentiel, capital de remettre les enfants dans la nature », affirme-t-il. C’est précisément le travail mené par Maya, la fille d'Hugues Mouret, stagiaire à Arthropologia, qui œuvre à recréer ce lien fondamental avec "l’école du dehors", s’enthousiasme Hugues.
Réapprendre à agir
Si le constat est alarmant, il ne doit pas être paralysant. « C'est quand on a touché le fond en fait, quand on a pointé du doigt les principaux problèmes, qu'on sait où et comment agir », souligne Hugues Mouret. Chacun, à son échelle, peut contribuer au changement. « On a tous dans nos tickets de caisse, dans nos bulletins de vote, la possibilité de changer ce monde. »
Même à petite échelle, les actions ont un impact : « Si on rend un quart de nos jardins, on multiplie par deux la surface des réserves naturelles françaises. » Repenser les espaces délaissés — résidences, bords de route, hôpitaux, campus — permettrait de restaurer des habitats, réduire la pollution et recréer du vivant. « La vie sur Terre ne consiste pas qu'à travailler mais aussi à vivre et à profiter de la vie », rappelle-t-il.
C’est précisément ce que tente de transmettre Marion Duvignacq, éducatrice nature chez Arthropologia. Elle sensibilise le grand public à la biodiversité à travers des ateliers. À chaque rencontre, elle constate l’étonnement des participants face à la richesse du vivant. « J'ai l'impression qu'il y a quand même beaucoup de personnes qui sont surprises, y compris parmi celles qui n'ont pas trop d'attentes et qui viennent sans trop d'idées sur ce qu'elles vont voir. »
Elle ne cherche pas à bouleverser les convictions en une seule séance, mais espère provoquer une prise de conscience. « Déjà, revenir avec une émotion, d'être parti à la rencontre des arthropodes et d'avoir découvert des arthropodes différents, de s'être étonné devant leur diversité… c'est quelque chose. Ce n'est pas anodin, » analyse-t-elle. Et si cette curiosité naissante pouvait mener à l’action ? « Éveiller sa curiosité sur leur fragilité, celle des milieux dont ils dépendent. Enfin, peut-être éveiller une envie d'action, ce serait formidable, » espère-t-elle.
Retisser le lien avec la nature par la culture
Ces ateliers ne sont pas le seul moyen d’éveiller les consciences et d’encourager un premier pas vers l’action. Si la nature est de moins en moins présente dans la culture, la littérature ou le cinéma, Arthropologia cherche à inverser cette tendance. En 2022, l’association a lancé une websérie qui a beaucoup fait parler d’elle. « Pause Biodiv’ » met en scène deux figures bien connues du grand public : Franck Pitiot et Jacques Chambon, alias Perceval et Merlin dans la série télévisée Kaamelott. Elle a été créée pour toucher un public qui ne vient pas spontanément vers la nature. « On essaye de toucher les gens à qui on ne parle jamais », explique Hugues Mouret.
Grâce à un format court et dynamique (moins de deux minutes), la série s’adapte aux habitudes du web et capte l’attention sans ennuyer. « Les deux minutes permettent assez rapidement de ne pas ennuyer les gens, d'éviter qu'ils zappent, et de traiter un certain nombre d'éléments extrêmement importants de façon humoristique », souligne Hugues Mouret. Avec l’écriture de Jacques Chambon, la web-série mise sur un ton accessible pour sensibiliser autrement. « C’est vraiment ça l’idée : augmenter, diversifier les médias, les supports pour toucher tout un tas de personnes. »