18 mars 2025
Comment parler d’écologie en quartiers populaires ?
Par
Aude Ristat et Florence Gault
Les habitants des quartiers populaires sont souvent les grands oubliés des discours et des actions de sensibilisation à l’écologie. Pollution de l’air, pollution sonore, passoires thermiques, bétonisation… Ils sont pourtant les premières victimes du réchauffement climatique. Pourtant, l’écologie n’est pas une réalité éloignée de leur quotidien. Et souvent, sans le savoir, ils ont déjà des pratiques écolo. Et ne pas intégrer les questions de justice sociale dans la transition écologique poserait un problème d’éthique, mais aussi d’acceptabilité.
« Je m’étais dit que cela allait être un peu incriminant envers nous et puis l’écologie je trouvais ça quand même assez barbant. » Nafaï n’était pas vraiment motivée pour participer à l’action de formation-action sur l’écologie proposée dans le cadre de la prépa Apprenti Solidaire. Ce programme d'insertion professionnelle, mis en place par l'Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville), accueille des jeunes en service civique pendant 6 mois afin qu'ils puissent ensuite intégrer une alternance. L'atelier était animé par Alexine Viney, en charge du programme Transition Juste au sein de Make Sense. Et finalement, Nafaï en est sortie contente : « j'ai vu que c'était très bien encadré, que les activités étaient diverses. Je trouve que c’était très cool. » Un succès donc.
Au cœur des échanges avec ces jeunes, leur culpabilité. Se sentent-ils coupables ? Quand ils sont interrogés sur ce qu’ils font pour l’écologie, les réponses sont timides mais pertinentes : « j’ai un téléphone recyclé »,« ne pas prendre l’avion »... Et si la culpabilité est présente elle vient du fait d’avoir l’impression de ne pas faire correctement les choses. « Par exemple, je trie ma poubelle mais parfois je suis pressée et je ne respecte pas les consignes. » Une perception de culpabilité que les animateurs atténuent en expliquant que 10% des personnes les plus riches polluent autant que 50% des personnes les plus précaires. « Vous avez donc raison de ne pas vous sentir forcément trop coupables, parce que vous polluez beaucoup moins que les personnes qui sont les plus riche , explique Alexine. Là où les Français moyens vont émettre de 10 à 15 tonnes de CO2 par an, vous êtes plus autour de 5 à 8. »
Au-delà des difficultés matérielles, une approche sensible de l’écologie
Après avoir débattu des moyens d'agir, un premier groupe a choisi de rédiger une pétition pour réclamer la gratuité des transports sur la métropole de Lyon, tandis que le reste des jeunes est allé voir s'il existe des îlots de fraîcheur dans le quartier pour les habitants en cas de canicule. En une matinée, leur perception a évolué. Les participants savent désormais par exemple que « si vous mangez végétarien, en moyenne, vous économisez 650 euros par an » et que parler d’écologie c’est aussi et surtout parler d'inégalités et de justice sociale. Comme l’explique Ilana, une autre participante, « on comprend mieux comment l’écologie concerne aussi notre santé et notre portefeuille car les appareils reconditionnés vont par exemple être moins cher que les appareils neufs ».
Mais ce qui a aussi beaucoup touché ces jeunes est l’impact du réchauffement climatique dans des pays qui disposent de moins de moyens que la France : « les gens souffrent pendant les catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique. Un petit geste, on dirait que c'est anodin, mais ça peut aussi les aider, c'est bien de se le rappeler ». Ces jeunes sont aussi tristes de savoir qu'il n'y aura peut-être plus de neige ou que la biodiversité est en déclin. Ils ont visiblement un rapport sensible à l'écologie dont il est indispensable de ne pas les déposséder.
Babou Thiam, coordinateur d'Apprentis solidaires à l'AFEV, se réjouit de ces réactions. « Les jeunes ont vraiment été très impliqués sur les ateliers qu'on a pu faire à l'extérieur. Ils ont fait des micro-trottoirs pour interroger des personnes sur leurs pratiques pour l’écologie au quotidien, » analyse-t-il. Un enjeu fort de cette action était de les sensibiliser à la question de la justice sociale. Et de leur faire comprendre que les personnes des quartiers populaires en France sont plus impactées par le dérèglement climatique. « On n'est pas tous égaux face à une canicule. Et paradoxalement ceux qui polluent le moins sont ceux qui vont souffrir le plus des conséquences du réchauffement climatique », explique Alexine Viney. « L'injustice, elle est à la fois dans la façon dont on subit l'écologie, mais aussi dans la façon dont on participe à l'écologie. Les manifestations pour le climat rassemblent plutôt des CSP+, des catégories socio-professionnelles supérieures. »
Des solutions à penser à la croisée des champs de compétences
Comment l’expliquer ? Les jeunes rencontrés ont d'autres priorités, d'autres urgences économiques et sociales qui prennent souvent le dessus sur les questions écologiques. A cela s’ajoute un fort sentiment d'impuissance et d'injustice. Leur parler de sobriété alors qu’ils la subissent nécessite une approche adaptée. « Il y a très peu d'associations écologistes qui vont dans les quartiers populaires », observe Alexine Viney, de Make sense. Il y a déjà un immense enjeu à sortir un petit peu d'une forme d'entre-soi pour aller parler à d'autres personnes. Il faut aussi faire tout un travail sur la question des privilèges, de l'inconfort, il y a aussi des liens à faire avec l’éco-féminisme et la lutte contre le racisme. » Elle constate également qu’il est nécessaire de dégager du temps pour accompagner ce public, « une matière précieuse auprès des personnes les plus précaires ». La responsable du programme Transition Juste mentionne également les conventions citoyennes pour le climat qui proposent à un moment, sur la base du tirage au sort, un temps de formation où les personnes sont payées pour ensuite pouvoir prendre des décisions. Une solution dont on pourrait s’inspirer, selon elle, estimant que la solution se situe sans doute à un carrefour entre associations, citoyens et collectivités.
Dans le 8ème arrondissement de Lyon, Mermoz fait partie depuis 2021 des Quartiers Fertiles, sélectionnés par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, une démarche tournée vers l'alimentation locale et la ville nourricière. Fabien Bressan est le directeur de Labo Cités, un centre de ressources laboratoire régional d'idées au service des quartiers et de tous les acteurs de la politique de la ville en Auvergne-Rhône-Alpes. Ce lieu de nature en ville est un symbole de la manière dont l'écologie entre dans les quartiers. « Cela passe par l’aménagement, en particulier la végétalisation avec des espaces verts. Les espaces verts des quartiers populaires étaient souvent, si on caricature un peu, des grands espaces de pelouses inoccupés. Nous avons introduit dans ces espaces l’idée de production, tout en s'accordant des espaces pour respirer, pour s'asseoir si on n'a pas envie de s'occuper des arbres », explique Fabien Bressan. Ici, on n’utilise pas le terme d’écologie, trop marqué socialement, parce que ce n’est pas parce qu’on n’a pas de moyens qu’on ne peut pas voir de valeurs et de projets. Ici, la clé, c’est la solidarité. « Ce sont des personnes, des familles, des habitants qui ont l'habitude de discuter avec les autres, d'échanger de manière simple, humble et efficace sur l'espace public, de faire plein de choses avec assez peu de moyens. Si en plus on arrive à leur rajouter un peu de ressources et quelques autres compétences d'autres types de projets, on arrive à des choses assez formidables. »
Donner des clés pour agir ? Impossible sans du lien social
Les compétences et les connaissances données aux habitants sont en effet des leviers d’action importants. Un engagement qui doit mobiliser une grande diversité d’acteurs. D’autant que les quartiers sont des modèles de résilience. Au-delà des difficultés matérielles et sociales, les quartiers populaires « ont depuis maintenant quasiment 50 ans, l'habitude d'expérimenter, de tester, de faire de l'innovation, de tenter plein de choses », témoigne le directeur de Labo Cités. Pour cela, souligne Fabien Bressan, il faut sortir des cadres institutionnels, « des manières de travailler qui ne sont pas trop descendantes ».
Manger mieux dans les quartiers, c'est le credo de la MESA, la Maison engagée et solidaire de l'alimentation installée au cœur du quartier Langlais-Santy dans le 8ème arrondissement de Lyon. Son objectif ? Donner accès à une alimentation saine grâce à des prix accessibles. Ce tiers-lieu a été co-construit avec les habitantes et les habitants du quartier. Julia Lévesque, la coordinatrice de cette maison, revient sur la genèse du lieu : « l’idée était de créer un lieu ressource, qui puisse parler aux personnes, dans lesquelles elles puissent se retrouver à la fois avec une offre assez large sur les questions d'alimentation, mais aussi avec un vrai travail sur la tarification et l’accès à des produits de qualité ».

La MESA, dans le 8ème arrondissement de Lyon ©Mesa
Il est possible dans ce lieu de partager des temps de cuisine, de restauration accompagnés par une équipe bénévole, mais aussi de faire ses courses. De quoi favoriser les échanges. « Après des mois de concertation, les personnes qui ont participé au projet sont venues avec leurs voisins, voisines, leur famille, et ont été fiers de dire qu’ils avaient contribué à créer cela. Tout a été pensé avec les habitants jusqu’à la tarification », précise Julia Lévesque. Cela s’est concrétisé en faisant passer de petits questionnaires anonymes. Bilan : un tarif subventionné pour les habitantes et les habitants des quartiers prioritaires et un prix encore plus subventionné pour les personnes en situation de plus grande précarité, qui sont suivies par un partenaire social. Après trois ans d’existence, le projet a fait ses preuves. Au-delà de la question de l'accessibilité alimentaire, des enjeux écologiques, des enjeux de lutte contre la précarité, c’est le lien social qui permet le reste.